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François Timoléon de Choisy - Scandaleux

Les Romantiques - 04/09/2020

Abbé de Choisy (1644-1724)

Année du scandale : 1670.
Epoque : Règne de Louis XIV.
Objet du scandale : Lors d’une soirée à l’Opéra de Paris, l’abbé de Choisy déguisé en femme vient se présenter et rendre hommage au jeune Dauphin, fils de Louis XIV (alors âgé de neuf ans) ; le gouverneur de ce dernier, le duc de Montausier, le tance vertement de se vêtir en fille alors qu’il est abbé. Cette humiliation publique provoque son premier exil, volontaire, en Berry.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous conter l’histoire d’un homme « Scandaleux », et non pas d’une femme : le personnage en question est François Timoléon de Choisy, plus connu sous le nom d’Abbé de Choisy, dont la vie fit scandale sous le règne de Louis XIV.

Son père est Jean de Choisy, seigneur  de Balleroy (en Normandie) et chancelier de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII), et sa mère est Jeanne Olympe Hurault de l’Hospital. Ses deux parents sont issus de la « noblesse de robe ». Sa mère est la fille aînée de M. de Belesbat, de la maison de Hurault, et la petite-fille du célèbre chancelier de l’Hospital.

Madame de Choisy a quarante ans lorsqu’elle accouche de François Timoléon, qui devait être le dernier enfant d’une fratrie de sept : quatre filles (deux mortes en bas âge, et deux mises au couvent pour devenir religieuses) et deux fils plus âgés : Jean Paul de Choisy et Pierre de Choisy.

Comme il est d’usage à l’époque, le fils aîné du couple,  Jean Paul de Choisy (1632-1697), va devenir seigneur de Balleroy, il aura la charge de conseiller au Parlement de Toulouse. Le deuxième fils, Pierre de Choisy (1636-1672), est destiné à l’armée : protégé de Monsieur de Turenne (grand ami de sa mère), il aura un régiment et fera carrière dans les armées de Louis XIV, où il mourra au cours de la guerre de Hollande. Le troisième et dernier fils, François Timoléon, est quant à lui destiné à devenir ecclésiastique. Il fera des études de théologie à la Sorbonne et deviendra abbé, prêtre et doyen de cathédrale (celle de Bayeux en Normandie).

La mère de François Timoléon est une femme autoritaire, sans gêne, et qui a la répartie facile. Tallemant des Réaux en parle dans ses « Historiettes ». Après son mariage avec  Jean de Choisy, elle a suivi son époux et est venue vivre auprès de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII) au Palais du Luxembourg à Paris, où son mari exerce son rôle de chancelier. Là elle côtoie des membres de la famille royale, notamment Anne d’Autriche, l’épouse de Louis XIII. Afin de plaire à la reine, qui cherche des compagnons de jeu pour son fils cadet, Philippe duc d’Anjou (futur Monsieur), elle prend l’habitude d’habiller François Timoléon en fille.

Le jeune garçon a en effet des traits très fins, une abondante chevelure brune et une taille menue, et peut passer pour une fillette. Il est de coutume à l’époque d’habiller les garçons en fille jusqu’à l’âge de sept ans. Ensuite ils entrent dans le monde des hommes, et on leur donne des vêtements masculins. Pour François Timoléon de Choisy, rien de tel. Sa mère continue à l’habiller en fille, même à l’adolescence.

Cet étrange comportement de la part de Madame de Choisy s’accentue encore lorsqu’elle prend l’habitude d’emmener son fils au Louvre pour devenir compagnon de jeu du jeune Philippe, fils cadet d’Anne d’Autriche, que l’on habille aussi en fille. C’est Mazarin qui a tenu à conditionner le plus jeune fils de la reine en l’habillant de cette façon, afin de gommer en lui toute idée de rébellion vis-à-vis de son frère Louis, et d’éviter les regrettables mouvements d’humeur et périls (notamment la Fronde) qui s’étaient déroulés quelques années auparavant entre le roi Louis XIII et son frère Gaston d’Orléans, perpétuel trublion.

L’idée de Mazarin était d’autant plus facile à mettre en oeuvre que Philippe avait pris goût aux vêtements féminins, aux fards, habitude qu’il conservera toute sa vie : en devenant « Monsieur », Philippe d’Orléans montrera un goût prononcé pour les hommes, et sera plus tard dominé par ses favoris, au premier rang desquels le célèbre (et sulfureux) chevalier de Lorraine.

François Timoléon de Choisy est tout autre : si on lui inculque le goût des vêtements féminins et qu’on lui demande de les revêtir, il sera par contre toute sa vie attiré par les femmes, voire les toutes jeunes adolescentes.

Quand il rédigera ses mémoires à l’âge de soixante ans, il expliquera comment sa mère réussit à l’inclure parmi les compagnons de jeu du jeune Philippe d’Orléans. « On m’habillait toutes les fois que le frère du roi venait au logis. On le mettait à sa toilette, on le coiffait, on lui ôtait son justaucorps pour lui mettre aussi des manteaux de femme et des jupes. Tout cela se faisait par ordre du Cardinal qui voulait le rendre efféminé. Habillés et parés nous jouions à cligne Musette, Cache-Cache-Mitoulas.

Il poussait la coquetterie en se mirant, en mettant des mouches et je fis encore pis. J’avais les oreilles percées, des diamants, des mouches et toutes les petites afféteries auxquelles on s’accoutume fort aisément et dont on se défait fort difficilement. »

François Timoléon est frêle de constitution, et sa mère lui fait porter des « corps de fer » extrêmement serrés pour réduire la taille, développer les hanches et élever la chair qui est grasse et potelée pour produire de la gorge (poitrine). A l’adolescence, il cache sous ses vêtements féminins une fausse gorge qui consiste en deux vessies de porc gonflées artificiellement et recouvertes d’un voile de satin. Son épaisse chevelure brune est domptée, frisottée, et peignée à la mode du temps. De plus, on lui perce les oreilles.

Jusqu’à l’âge de dix-huit ans il va donc vivre auprès de sa mère, habillé en fille. Il expliquera ainsi l’attitude de cette dernière : « J’étais le dernier de mes frères et le dernier enfant : comme ma mère m’avait eu à un âge avancé, je la faisais paraître plus jeune ce qui faisait sans doute qu’elle m’aimait plus que mes frères ; j’étais toujours avec elle ».

Il perd son père à l’âge de seize ans, père qui était très absent de la vie de son fils, et les liens de François Timoléon se resserrent avec sa mère. Madame de Choisy fréquente les salons littéraires de Paris et possède une belle plume. Elle a des correspondants qui sont des têtes couronnées : Marie Gonzague, reine de Pologne, et la reine Christine de Suède (qui se travestissait en homme). Son fils participe à ces liens littéraires : il racontera que tous les matins il écrit au chevet du lit de sa mère les lettres que cette dernière lui dicte et qu’elle destine aux princesses les plus en vue.

Très tôt elle lui inculque les principes simples pour évoluer dans le monde : « Ne soyez point glorieux, et songez que vous n’êtes qu’un bourgeois, votre père et vos grand-pères ont été maîtres des requêtes, ou conseillers d’état mais apprenez qu’en France on ne connaît de noblesse que celle de l’épée : c’est pour cela mon fils qu’il faut que vous ne fréquentiez que des gens de qualité ».

Outre Philippe d’Orléans, qui accordera à François Timoléon son amitié a vie, Madame de Choisy pousse son fils à fréquenter les jeunes ducs et marquis de la cour. Elle l’encourage aussi dans ses études : en 1663, il obtient une charge d’abbé commendataire ainsi que les revenus de l’abbaye de Sainte Seine en Bourgogne. A l’âge de vingt ans, François Timoléon de Choisy va faire des études à Bordeaux. Là, pour la première fois, il se montre publiquement en habit de fille, et fréquente quelques temps les planches d’un théâtre où il s’amuse à flirter avec des galants. C’est là qu’il comprend que ses goûts sexuels le poussent vers les femmes, et qu’il n’est nullement attiré par les hommes. Il aime se travestir en femme, voire en « jolie femme », mais ses goûts sont ceux d’un homme. Quand il revient à Paris, il conserve ses habits de fille mais, sous la pression de ses frères, revêt un habit d’homme pour ses rencontres mondaines.

En 1669 c’est le drame, il perd sa mère qui meurt à l’âge de soixante-cinq ans. Pour sa part d’héritage, il demandera à ses frères de récupérer les bijoux de cette dernière : des pendants d’oreille valant 10 000 Francs, une croix de diamants de 5 000 Francs et trois bagues. Il s’étourdit, habillé en femme : fardé et pommadé, il fréquente les salles de bal et les théâtres. Il exulte lorsqu’il suscite des commentaires élogieux sur son apparence : un « quelle belle femme ! » lancé par ses voisins provoque en lui un moment d’extase extraordinaire. Il est toujours un compagnon de Monsieur, qui l’envie de pouvoir à sa guise se travestir en fille. Lui ne peut le faire qu’en privé, et dans certaines occasions particulières (les bals costumés par exemple). Le frère du roi reconnaît sans peine que François Timoléon de Choisy se révèle être une très jolie femme.

C’est aussi ce que lui dit l’une de ses correspondantes, Madame de la Fayette, la célèbre épistolière qui encourage le jeune Choisy à conserver ses habits de fille. Il n’a pas besoin de cela pour continuer à paraître dans le monde ainsi vêtu. Ses apparitions font sourire, et peu de ses contemporains manifestent un déplaisir : les uns s’extasient qu’il réussisse à être une « jolie femme », les autres s’indignent de cet accoutrement contre nature (il est tout de même censé entrer dans le monde ecclésiastique) mais le premier affrontement avec les censeurs va bientôt être un choc pour François.

En effet, la « bulle » de François Timoléon de Choisy se désintègre début 1670 lorsqu’il fait connaissance avec le Dauphin Louis (fils de Louis XIV) venu à l’Opéra se distraire accompagné de son gouverneur, le très rigide duc de Montausier. Vêtu en femme et superbe dans une robe blanche parsemée de fleurs délicatement brodées, il attire l’oeil d’une connaissance, la duchesse d’Uzès (fille du duc de Montausier), positionnée à côté du jeune Dauphin dans sa loge.

Elle lui fait signe de son éventail de venir se présenter. L’entretien dure depuis quelques minutes, le Dauphin a littéralement le souffle coupé devant cette jolie femme, lorsque le duc de Montausier, qui s’était absenté, revient inopinément dans la loge. De vue et de réputation, Charles de Sainte Maure, duc de Montausier, connait l’existence du dernier fils de Madame de Choisy. Il sait aussi que la femme présente devant lui n’est pas une femme, mais un homme déguisé en femme. La moutarde lui monte instantanément au nez, et c’est François Timoléon qui raconte l’incident dans ses mémoires, où il rebaptise le duc de Montausier du sobriquet de « Rabat Joie ».

A sa vue le duc, austère et pince sans rire, le toise de la tête aux pieds et lui dit : « J’avoue Madame ou Mademoiselle (je ne sais pas comment il faut vous appeler), j’avoue que vous êtes belle, mais en vérité n’avez-vous point de honte de porter un pareil habillement et de faire la femme, puisque vous êtes assez heureux pour ne pas l’être ? Allez, allez vous cacher, monsieur le dauphin vous trouve fort mal comme cela ».

Le Dauphin, ne comprenant pas, réplique qu’il trouve la dame « belle comme un ange ». Vexé, humilié car le duc de Montausier possède une voix de stentor et tout le monde l’a entendu, François Timoléon quitte l’Opéra et rentre chez lui. En se démaquillant devant sa glace, sentant toujours sur lui le regard hautain, méprisant et désapprobateur du très influent gouverneur du fils de Louis XIV, il décide de se faire oublier quelques mois en province. La réaction indignée de ses deux frères à la suite de cet incident, et leurs reproches, accélèrent sa décision. Il part en reconnaissance dans le Berry, province qui ne le connait pas, et plus précisément à Bourges.

Arrivé incognito, la ville lui plait immédiatement et il se met en chasse d’une demeure à acheter. On est alors en mars 1670 et le château de Crespon, à quelques lieues de Bourges, est à vendre : c’est une demeure bâtie depuis vingt ans, vendue toute meublée. Il y a un parc de vingt arpents, un petit bois, un potager, des eaux plates et de bonnes murailles. François Timoléon fait agir son notaire et achète le château sous le nom de comtesse des Barres.

En effet, il part en exil mais a bien l’intention de vivre cet exil habillé en femme. Il se fait passer pour une jeune veuve venue se retirer à la campagne pendant ses mois de veuvage. Il fréquente les églises, habillé en veuve distinguée : son statut de veuve parisienne, son élégance, sa piété ne tardent pas à intriguer la noblesse locale, qui bientôt lance des invitations à la jeune chatelaine de Crespon.

Il raconte : « A Bourges j’allais à la messe à l’église Cathédrale, c’était la messe des paresseuses. Toutes les belles de la ville y étaient et tous les galants. J’étais coiffée avec mes cheveux noirs à grosses boucles, mes pendants d’oreilles de diamants, une douzaine de mouches, un collier de perles fausses plus belles que les fines. D’ailleurs en me voyant tant de pierreries, on ne pouvait que croire que je ne voulais rien porter de faux. Ma coiffure était chargée de rubans jaunes et argent et garnie d’un bouquet de fleur d’oranger ce qui faisait fort bien avec des cheveux noirs. Des gants blancs, un éventail, un grand masque qui me cachait toutes les joues de peur de hâle. Je l’ôtais un moment lorsque je m’apercevais qu’on avait envie de me voir ce
qui redoublait la curiosité. »

François Timoléon intègre petit-à-petit le cercle de la noblesse locale. Il se fait connaître auprès de M. du Coudray, lieutenant général de la province. Il a même un galant, un voisin, ancien mousquetaire du roi tout émoustillé à la vue de cette jolie femme. «Mon corset de Marseille était fort rembourré par-devant pour faire croire qu’il y avait là de la gorge et effectivement j’en avais autant qu’une fille de quinze ans. On m’avait mis dès l’enfance des corps qui me serraient extrêmement et qui faisaient élever la chair qui était grasse et potelée. On me regardait tant et plus. Ma parure, ma robe d’argent, mes diamants, la nouveauté, tout attirait l’attention. »

Déguisé en femme, fardé et pomponné, au fil des mois il s’intègre complètement dans les cercles de la noblesse de Bourges. Il tomba très vite sous le charme d’une jeune adolescente, Melle de la Grise, âgée de quatorze ans. Il décide d’en faire sa maîtresse. Peu méfiante, la mère lui confie sa fille plusieurs jours dans la semaine car, toujours en jouant son rôle de veuve, François Timoléon promet d’apprendre à la jeune fille l’art de se coiffer et de se farder à la parisienne. Au bout de quelques semaines, il l’a mise dans son lit et en a fait sa maîtresse.

On se demande comment une jeune fille accoutumée à rencontrer une femme a pu réagir en réalisant que sous cette robe se cachait un homme, avec des désirs d’homme. Toujours est-il que, chapitrée par Mme des Barres, elle ne se confia jamais à sa mère.

« Mademoiselle de la Grise fut troublée. Sous prétexte de lui montrer quelque chose sur le clavecin, je lui dis avec amitié qu’elle montrait trop sa gorge, que sa coiffure n’était pas de bon air. Elle avait trop de cheveux sur le front. Les boucles qui accompagnaient son minois l’offusquaient et cachaient ses belles joues. Il fallait la rendre savante en coiffure. Je n’avais jamais vu de plus joli corps. Une taille droite, de petites hanches, une gorge admirable, naissante, blanche comme neige, de petits traits, un beau teint, de petits yeux pleins de feu, la bouche grande, les dents belles, les lèvres incarnates et rebordées, les cheveux blonds... Elle coucha la première dans mon lit. Je la tins longtemps entre mes bras, baisai sa gorge. Je lui fis mettre aussi la main sur le peu que j’en avais afin qu’elle fût encore plus rassurée que j’étais femme. La première nuit nous nous abandonnâmes à la joie sans sortir des bornes de l’honnêteté, ce qui est difficile à croire mais ce qui est pourtant vrai. « Je me suis défendu, me disait-elle un jour, comme j’aurais fait contre un homme. Je ne voyais qu’une belle dame et pourquoi se défendre de l’aimer ». Quels avantages vous donnent les habits de femme. Le coeur de l’homme y est, et d’un autre côté, les charmes du beau sexe nous enlèvent tout d’un coup et nous empêchent de prendre nos sûretés. »

Puis, le temps de la nouveauté passé, Mme des Barres se lasse de la jeune fille et encourage sa mère à la marier au plus vite. Reconnaissante des soins apportés à sa fille, celle-ci écoute le conseil et la marie (en larmes) à un obscur voisin, Monsieur de la Goutes. Quant à François Timoléon, lassé de la campagne, il revient à Paris en août 1672.

Désireux de poursuivre son travestissement, il prend cette fois une autre identité, celle de Madame de Sancy. Avec l’héritage qui lui reste de sa mère, auquel va s’ajouter celui de son frère décédé (qui lui lègue 50 000 écus), il achète une maison dans le faubourg Saint Marceau, dépendant de la paroisse Saint Médard. Chaque dimanche il va à l’église habillé en femme du monde, il raconte dans ses mémoires : « J’avais une Stinquerque de Malines qui faisait semblant de cacher une gorge, j’étais bien parée, je présentais le pain béni et j’allais à l’offrande d’assez bonne grâce ; et puis je quêtais : ce n’est pas pour me vanter mais jamais on n’a fait tant d’argent à Saint Médard ».

Madame de Sancy a alors un carrosse à quatre chevaux, un autre à deux, un cocher, un postillon, un valet de chambre, trois laquais, un cuisinier, une laveuse d’écuelles et un savoyard. Elle a aussi un aumônier en sa maison. Concernant sa tenue de femme, François Timoléon porte toujours deux jupes, et veut que ses manteaux soient retroussés et maintenus ainsi par de gros noeuds de rubans.

Son suprême bonheur est de s’entendre dire : « vous êtes belle comme un ange ». Pour maintenir une peau imberbe, le jeune homme (qui a alors presque trente ans) continue de frotter son cou tous les soirs avec de l’eau de veau et de la pommade de pieds de mouton. Sa pilosité n’a pas résisté à ce traitement, qu’il s’impose depuis l’enfance.

En sa nouvelle demeure et dans son nouveau rôle, l’incorrigible François Timoléon tombe amoureux fou d’une jeune comédienne, Roselie. Il entame avec elle une relation qui sera la plus sérieuse de son existence : lorsque la jeune femme tombe enceinte de ses oeuvres, il s’occupe de l’enfant (une fille) qu’il enverra au couvent pour son éducation et mariera lorsqu’elle aura seize ans. Mais la naissance de cet enfant va briser le couple qu’il forme avec Roselie, celle-ci ayant peut-être perdu ses attraits, ou tout simplement par lassitude. Madame de Sancy se débarrasse d’elle et l’encourage à se marier au premier comédien venu demander sa main. Exit Roselie !

L’incorrigible séducteur, toujours sous le déguisement de Madame de Sancy, va séduire une jeune voisine, une dénommée Charlotte, âgée de seize ans. François Timoléon aura la fantaisie de l’habiller en homme (il lui coupe les cheveux), et de l’appeler Monsieur de Maulny. Bientôt on croise dans le quartier ce couple étrange, lui habillé en femme, et elle habillée en homme, et personne ne relève la supercherie. Il provoquera même une pseudo cérémonie de mariage où ils échangent des voeux et des bagues. Mais bientôt il devient jaloux de Charlotte : elle reçoit plus de compliments lorsqu’elle s’habille en homme, que lui lorsqu’il s’habille en femme. Et cela lui est insupportable : c’est un narcissique, il ne tolère pas la concurrence. Très vite, il rompt avec Charlotte (en pleurs) qui finit par épouser un bourgeois. François lui constitue même une dot.

Dans ses mémoires, il explique qu’une fois mariées, ses anciennes conquêtes ne l’intéressent plus, il les raye de sa mémoire : « Je ne songeais plus à elle, une femme mariée ne m’était plus rien, le sacrement du mariage effaçait tous ses charmes ». La dernière de ses maîtresses est une certaine « Babet », qu’il rebaptisera « Dany » : celle-là aussi il s’en lassera rapidement, la pauvre Babet finira religieuse.

Et puis François Timoléon se lasse de son rôle et reprend contact avec ses amis de jeunesse : l’un d’eux, en 1676, lui propose de partir à Rome avec lui. Il s’agit du cardinal de Bouillon, qui monte sa maison. François se met à apprendre la langue italienne et part dans les bagages du cardinal, avec la perspective de rencontrer le pape. Il va vite s’ennuyer à Rome (il a dû renoncer à ses habits de femme) mais découvrir ce qui deviendra son poison et son vice : le jeu.

Déjà sa mère avait perdu beaucoup d’argent aux tables de jeu, François Timoléon de Choisy n’aura pas la force nécessaire pour résister au démon de cette époque. « Le jeu qui m’a toujours persécuté, m’a guéri de ces bagatelles pendant plusieurs années, mais toutes les fois que je me suis ruiné et que j’ai voulu quitter le jeu je suis retombé dans mes anciennes faiblesses et je suis redevenu femme. »

En 1682 il revient à Paris quasiment ruiné. Il se retire à l’abbaye de Sainte Seine, qui lui rapporte 6 000 livres depuis 1663 : Sainte Seine étant en Bourgogne, il se lie d’amitié avec un célèbre exilé, Bussy Rabutin, qui lui conseille d’user de sa plume car il possède un style bien à lui. François Timoléon reprendra cette idée, mais plus tard.

En 1684, revenu à Paris, il tombe gravement malade. Les médecins lui donnent à peine deux semaines à vivre, il est aux portes de la mort. Souffrant, délirant, François Timoléon voit alors défiler toute sa vie et sent le gouffre de l’enfer s’ouvrir sous ses pas. A l’âge de quarante ans, il a une révélation et redécouvre sa foi en Dieu. Guéri, mais affaibli, il décide de se retirer au séminaire des Missions étrangères rue du Bac à Paris, et entre en dévotion. En mars 1685, un de ses compagnons d’étude et ami d’enfance, le chevalier de Chaumont, lui propose de l’accompagner au royaume de Siam auprès du roi Narai afin de l’évangéliser. L’abbé de Choisy accepte.

Il embarque à Brest pour un périple de plusieurs mois. C’est là-bas qu’il sera ordonné prêtre. Il commence à décrire tout ce qu’il voit dans des carnets de voyage : les animaux, les moeurs des autochtones, la flore. Le roi de Siam finalement ne se convertira pas au catholicisme, mais lorsque l’abbé de Choisy revient en France, il rassemble ses souvenirs et publie son récit dans un livre : « Journal de voyage au Siam ». Louis XIV le lit avec délectation.

Petit-à-petit François Timoléon fait partie des courtisans qui viennent à Versailles. Outre la protection de Monsieur, qui n’a jamais cessé de le choyer, il rencontre des hommes d’église influents tels que Bossuet. Il se met à l’écriture et sa plume lui permet en août 1687 d’entrer à l’Académie Française. Il collabore avec Charles Perrault sur la rédaction des « Opuscules » de la langue française.

Il reçoit du roi en 1689 le bénéfice du prieuré de Saint Benoit du Sault, et entreprend d’écrire ce qui sera sa plus grande oeuvre « Mémoires pour servir l’histoire de Louis XIV ». Puis il va s’atteler à rédiger des travaux historiques de grande ampleur : notamment une « Histoire de l’Eglise » en onze volumes, vivement encouragé par Bossuet.

Madame de Maintenon (l’épouse morganatique de Louis XIV) fait appel à lui pour rédiger des textes d’édification religieuse à la manière de contes de fées, pour son institution de jeunes filles à Saint Cyr. En 1698, toujours à court d’argent (il joue de grosses sommes à Versailles) il vend le château de Balleroy à la princesse d’Harcourt, née Françoise de Blacas.

En 1710, à l’âge de soixante-six ans, et à la demande d’une amie (la marquise de Lambert), il accepte d’écrire ses mémoires de jeunesse et ses aventures lorsqu’il était déguisé en femme : il les intitulera « Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme ». Sulfureuses, elles circuleront d’abord dans certains cercles avides de ce genre de lecture. A la mort de Louis XIV, en 1715, les Mémoires de l’abbé de Choisy feront fureur auprès du régent Philippe d’Orléans (fils de son défunt ami Monsieur) et de ses roués.

En effet, dans ce récit il ne s’embarrasse pas de pudeur, ni de remords, lorsqu’il décrit ses relations charnelles avec des jeunes filles innocentes (Roselie, Babet), alors qu’il est lui-même habillé en femme. Le pseudo érotisme fait sensation. Il a alors près de quatre-vingts ans, et dans son intérieur il faut imaginer cet abbé, vêtu de vêtements féminins (eh oui, il continue à porter jupes et jupons) s’atteler à la vie des Saints et relater celle de Sainte Marthe.

C’est en 1724 qu’il meurt chez lui de vieillesse, à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Il lègue ses oeuvres à l’un de ses petits-neveux, le marquis d’Argenson. Ce dernier décrit ainsi l’abbé de Choisy : « Il a de l’esprit et de la mémoire, une conversation intéressante et curieuse, mais il s’est toujours senti de son éducation efféminée et n’étant plus d’âge à s’habiller en femme, il ne s’est jamais trouvé capable de penser en homme. »

François Timoléon se décrivant lui-même se montre plus indulgent : « Une dame qui a tout l’esprit du monde a dit que j’avais vécu trois ou quatre vies différentes : homme, femme, toujours dans les extrémités, abimé dans l’étude ou dans les bagatelles, estimable par un courage qui mène au bout du monde, méprisable par une coquetterie de petite fille et, dans ces états différents, toujours gouverné par le plaisir... »

La Gazette de France annonce ainsi son décès : « Le 14 octobre 1724 : François Timoléon de Choisy prieur de Saint Lo de Rouen, de Saint Benoit du Sault et de Saint Gelais, doyen de l’Académie Française, et ci devant doyen de l’église de Bayeux, meurt à Paris à l’âge de soixante-dix-neuf ans ».

 

Lafouine77

Sources
« Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme » par l’abbé de Choisy.
« Tricheur de sexe » d’Hervé Castanet.


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